Il y a 10 ans, au Liban du Sud: Tu te réveilles et c’est la guerre

Liban, juillet 2016. Il fait nuit, l’air est chaud mais le vent caresse nos visages. On est là, à plusieurs, au milieu de la montagne. Installés dans des coussins à boire du vin. C’est le calme absolu, il y a l’odeur du linge qui sèche. C’est bien, c’est chouette. Et puis, je ne sais pas trop comment, ni pourquoi mais vous commencez à parler de juillet 2006.

Les tensions montaient depuis longtemps. La capture de deux soldats israéliens à la frontière libanaise a déclenché le conflit. Un beau jour, l’armée israélienne a commencé à bombarder le sud du pays. Le 12 juillet 2006 a marqué le début de votre enfer.

« Tu te réveilles un matin et tu découvres que c’est la guerre. Il faut quitter le village. Il n’y a plus d’essence ni de nourriture. Il y a les enfants, les bébés, les vieux, les jeunes. Il faut partir pour ne pas mourir. »

Tu m’expliques ça. Je t’écoute. Je sens mon cœur grossir dans ma poitrine.

La nuit est claire, les étoiles brillent.

Je te demande : « Et comment ça se passe alors, tout le monde part de son côté ? »

Tu te redresses et tu réponds : « Non. Les routes sont détruites. C’est très dangereux. La Croix-Rouge organise des convois. Ils encadrent des files de voitures et les drapent de blanc pour pas qu’on nous tire dessus. C’était la guerre Jehanne. »

LA GUERRE.

Je te regarde. Je vous regarde tous les trois, si jeunes, si beaux. Vos yeux ont vu l’horreur, vos nez ont senti la mort, vos corps ont connu la faim.

Le 12 juillet 2006, j’avais 18 ans et deux jours. Je découvrais les festivals, je faisais du vélo dans les rues de Bruxelles et je mangeais des tomates-cerise.

Vous vous faisiez bombarder. Le Liban du Sud, cette terre que j’aime tant, était à feu et à sang. Ils ont brûlé les oliviers, détruit les villages, tué les civils.

Je lis ce rapport de la Croix-Rouge internationale datant du 8 août 2006 dont la première ligne commence par ceci : « La population du Sud-Liban est toujours isolée. Les civils vivent dans la peur et l’incertitude du lendemain. »

Ta famille était coincée au village. C. n’avait que quelques mois. Il fallait lui trouver du lait. Il n’y en avait pas. Je n’ose imaginer l’angoisse de ne pas pouvoir nourrir le bébé.

Toi, tu étais à Beyrouth où tu venais de t’inscrire à l’université et tu ne savais pas si tu retrouverais ta maison au Sud, ton village, tes voisins.

Le 11 août, alors que les combats font rage, une trêve est signée en vertu de la Résolution 1701 de l’Onu. Les violences s’arrêtent le lundi 14 août 2006.

Pour la première fois, depuis 34 jours, le pays se réveille dans le silence. L’heure est au bilan. Plus de mille civils libanais ont perdu la vie.

Quand tu es retourné au village au lendemain des événements, tu as pleuré. Tout était cassé. L’air sentait encore la poudre et le sang.

Quand un immeuble explose, brûlent aussi avec lui les albums photos, les journaux intimes, les doudous des enfants. Les souvenirs de toute une vie disparaissent en un instant.

J’ai envie de te serrer, de te dire que je comprends. Mais non, bien sûr que non, je ne comprends pas. Je ne comprends rien aux bombes, à la mort qui explose dans la gueule, à la faim, aux cris, à la soif. A la peur qui ronge et qui forge l’existence.

C’était il y a dix ans. Aujourd’hui, ton village est calme. L’air y est doux. Les oliviers sont à perte de vue. C. a fêté ses dix printemps en toute insouciance.

La frontière israélienne n’est qu’à quelques pas. De chez toi on aperçoit les premières habitations de l’Autre côté.

Chez les voisins. Ceux avec qui tu ne peux pas parler.

Parfois, je me dis qu’on devrait leur envoyer des avions de papiers au-dessus des barbelés. Juste pour dire : « Salut, on vit dans un monde un peu fou mais on croit en l’humanité, pas vous ? »

Bref, il faisait nuit, l’air était chaud mais le vent caressait nos visages. Et puis, je ne sais pas trop comment, ni pourquoi mais vous avez commencé à parler de juillet 2006.

Je dédie ces quelques lignes à ceux qui, une fois venue la nuit, osent regarder les étoiles et espérer un lendemain meilleur.

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